Plan d'analyse de souverainté commerciale et de résilience économique pour le Cameroun

Une analyse stratégique de Monsieur Ahmadou Abdoul-Kadir, Directeur Éxecutif de l'IRES.

STRATÉGIQUE

Ahmadou Abdoul-Kadir

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Plan d'analyse de souverainté commerciale et de résilience économique pour le Cameroun
Plan d'analyse de souverainté commerciale et de résilience économique pour le Cameroun

Destinataires : Membres du Gouvernement – GeCam

Classification : Stratégique

Préparé par : Ahmadou Abdoul-Kadir, Directeur Exécutif, IRES

Revue par : Professeur Hamadou Sanoussi, Directeur des Etudes, IRES

Date : 06/04/2025

I. ENJEUX GÉO-ÉCONOMIQUES : UNE URGENCE STRATÉGIQUE POUR LE CAMEROUN

Dans un contexte marqué par la déglobalisation partielle, les tensions géopolitiques et le retour du protectionnisme, les économies africaines doivent repenser leur position dans les chaînes de valeur mondiales. Les puissances occidentales adoptent des politiques de plus en plus protectionnistes. Le système commercial international est en profonde recomposition, caractérisé par :

- Le repli protectionniste des puissances occidentales, notamment :

  • L’inflation des tarifs douaniers initiée sous l’administration Trump (guerre commerciale USA-Chine).

  • Les normes environnementales de l’Union européenne, telles que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) et les restrictions croissantes sur les produits agricoles à forte empreinte écologique.

- La remise en cause des accords préférentiels comme l’AGOA (États-Unis) et les APE (Union européenne) ;

- La dépréciation continue du dollar américain face à l’euro auquel est rattaché le FCFA, réduisant la valeur réelle des recettes d’exportation du Cameroun ;

- L’émergence de nouveaux blocs économiques, tels que le BRICS+ et la ZLECAf, redessinant les flux commerciaux mondiaux.

Conséquences immédiates pour le Cameroun :

- Perte estimée entre 150 et 300 millions USD par an en recettes d’exportation moyennes des principales filières (cacao, pétrole, bois), les volumes exportés, et les taux de change observés entre 2023 et 2024 (effet combiné de la dépréciation du dollar et des barrières commerciales et tarifaires). Effets sur le commerce extérieur du Cameroun la dépréciation du dollar américain face à l’euro/FCFA a entraîné une baisse significative de la valeur réelle des recettes d’exportation pour le Cameroun, dont la monnaie de référence est le FCFA. En effet, lorsque les produits d’exportation (cacao, pétrole, bois) sont vendus en dollars, une dépréciation du billet vert réduit leur équivalent en FCFA. Par exemple, une tonne de cacao exportée à 8065 USD générait environ 5 000 000 FCFA au taux de 1 USD = 620 FCFA, contre seulement 4 777 420 FCFA si le dollar chute à 592,40 FCFA. Cette perte de pouvoir d’achat pèse sur les marges des exportateurs et les recettes fiscales de l’État.

Les pertes globales sont estimées entre 150 et 300 millions de dollars US sur l’année 2024, sur la base des volumes d’exportation moyens dans les secteurs du cacao, du pétrole et du bois, ainsi que de l’évolution des taux de change USD/FCFA entre janvier 2023 et décembre 2024.

- Cette contraction des recettes va entraîner la perte à terme de 40 000 à 50 000 emplois. Il s’agit d’une estimation des pertes combinées d’emplois directs et indirects, principalement dans les filières agricoles d’exportation (cacao, coton…) et les chaînes logistiques associées.

- Dépendance critique à l’égard de marchés traditionnels (UE, USA) représentant plus de 65 % des exportations non pétrolières ;

- Opportunité historique de repositionnement vers les marchés émergents (Asie (Indonésie, Inde, Vietnam), Amérique Latine (Brésil, Mexique), Afrique (Nigeria, Afrique du Sud, RDC, Angola, Maroc, Algérie, Egypte)).

II. VULNÉRABILITÉS PAR SECTEUR CLÉ

1. Filière Cacao-Café

- 80 % des exportations destinées à l’UE sont sous régime préférentiel APE ;

- Risque de taxation à hauteur de 10 % en cas de rupture entraînant une perte estimée à 90 M USD/an ;

- Effondrement potentiel de la chaîne de valeur locale et fermeture de plusieurs unités de transformation.

2. Industrie Textile-Coton

- Fortement dépendante du marché américain via l’AGOA (60 % des volumes exportés) ;

- Suppression du régime préférentiel entraînerait une chute de plus de 120 M USD/an en devises;

- Menace directe sur 12 000 emplois et 250000 producteurs dans les régions septentrionales.

3. Secteur Bois-Menuiserie

- Vulnérabilité face aux restrictions environnementales de l’UE ;

- Exportations menacées à hauteur de 15 M USD/an ;

- Risque écologique d’un retour à l’exportation de grumes brutes.

III. STRATÉGIE NATIONALE DE RIPOSTE ET DE RÉSILIENCE (2025–2030)

Pilier 1 : Réformes institutionnelles pour la souveraineté commerciale

1.1 Création de l’Agence Camerounaise du Commerce Extérieur (ACCE)

- Création de l'ACCE Institution publique autonome chargée de la veille commerciale, de la négociation d’accords bilatéraux et de l’intelligence économique ;

- Coordination avec les attachés économiques sectoriels dans les ambassades stratégiques ;

- Centralisation des données export-import et des stratégies de positionnement.

1.2 Renforcement des outils de pilotage et d'intelligence économique

- Système d'alerte rapide sur les risques commerciaux externes ;

- Observatoire des prix mondiaux et des marchés stratégiques.

1.3. Création d'un Secrétariat d'État au MINREX chargé de la diplomatie économique

Pilier 2 : Mécanisme de stabilisation et de protection des exportations

2.1 Création d’un Fonds de Stabilisation des Exportations (Fonds STABEX-CAM)

- Dotation initiale de €200 millions, en partenariat avec la BDEAC, la BAD et la Banque des BRICS;

Objectif : compenser les pertes de revenus à l’export pour les filières stratégiques ;

- Accès conditionné à des critères de résilience et de diversification industrielle.

2.2 Garantie de change pour les filières sensibles

- Protection contre les effets de la dévaluation du dollar ;

- Mécanisme de couverture partielle des risques de taux de change.

Pilier 3 : Industrialisation stratégique et substitution aux importations

3.1 Plan "Produire et Consommer Camerounais"

- Campagne nationale de souveraineté économique et de patriotisme industriel ;

- Certification nationale des produits transformés localement ;

- Priorité à la commande publique pour les entreprises de transformation locales.

3.2 Plan de substitution des importations à l’horizon 2030

Objectif : réduire de 50-70 % les importations sur les produits suivants :

- Riz : autosuffisance par développement des vallées rizicoles (Ndop, Maga, Yagoua, Lagdo, Mbakaou...) ;

- Maïs : irrigation, semences améliorées, partenariats coopératives-industries ;

- Huile de palme : relance des plantations industrielles et villageoises, mécanisation de la transformation ;

- Sucre : relance des unités agro-industrielles (SOSUCAM et projets PPP) ;

- Carburants : relance de la SCDP, diversification énergétique, appui à la raffinerie SONARA et All Bitumen Cameroon.

Pilier 4 : Diversification géographique et diplomatie commerciale offensive

4.1 Nouveaux partenariats Sud-Sud

- ASEAN : accords ciblés pour l’huile de palme, le caoutchouc et les produits tropicaux transformés ;

- MERCOSUR : coopération agricole avec le Brésil, accords de compensation coton/soja et sucre ;

- BRICS+ : accès préférentiel, investissements directs et financement d’infrastructures énergétiques, de transport et industrielles par la nouvelle banque de développement des BRICS.

4.2 Intégration accélérée dans la ZLECAf

- Positionnement du Cameroun comme plateforme de transformation et de réexportation ;

- Accords bilatéraux intra-africains sur le Cacao-Café, les intrants agricoles et les produits manufacturés et miniers.

IV. FEUILLE DE ROUTE ET ÉCHÉANCIER (2024 – 2030)

Phase 1 (0 – 6 mois)

- Lancement de l’ACCE et de l’observatoire des marchés ;

- Audits de compétitivité des filières exportatrices ;

- Négociation des accords avec Chine, Indonésie, Brésil, Inde.

Phase 2 (6 – 18 mois)

- Mise en place du Fonds STABEX-CAM ;

- Création des zones industrielles moderne de Douala et Garoua ;

- Déploiement du plan riz – maïs – huile – sucre.

Phase 3 (18 – 60 mois)

- Réduction de 50-70 % de la dépendance aux marchés occidentaux ;

- Lancement de la campagne "Produire et consommer camerounais" ;

- Entrée effective dans les chaînes de valeur régionales de la ZLECAf.

V. MESSAGE STRATÉGIQUE

« Ce plan marque une rupture. Il trace le chemin vers une économie camerounaise indépendante, résiliente, et industrialisée. »

Trois objectifs à atteindre d’ici 2030 :

1. Protéger nos exportations et nos emplois face aux turbulences internationales ;

2. Assurer notre sécurité alimentaire et industrielle à travers la production locale ;

3. Devenir un pôle industriel et logistique régional capable d’exporter vers l’Afrique et les pays émergents.

Prochaines étapes :

- Adoption en Conseil des Ministres

- Mise en place d’un Comité de Suivi interministériel présidé par la Présidence de la République

- Lancement officiel du programme par le Président de la République.

Annexes à développer :

1. Évaluation des pertes commerciales par secteur ;

2. Cartographie des nouveaux marchés prioritaires ;

3. Proposition de cadre organique de l’Agence Camerounaise du Commerce Extérieur

BIBLIOGRAPHIE :

1. Banque africaine de développement (BAD). (2023). Perspectives économiques en Afrique 2023. Abidjan : BAD.

https://www.afdb.org

2. Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC). (2024). Rapport annuel sur la conjoncture économique en zone CEMAC. Yaoundé : BEAC.

3. Banque mondiale. (2023). World Development Indicators. Washington, DC: World Bank.

https://databank.worldbank.org

4. Fonds monétaire international (FMI). (2023). Perspectives de l’économie mondiale – Octobre 2023. Washington, DC : FMI.

https://www.imf.org

5. Organisation mondiale du commerce (OMC). (2024). Statistiques du commerce mondial. Genève : OMC.

https://www.wto.org

6. Nations Unies - UNCTAD. (2023). Statistiques du commerce extérieur africain (COMTRADE).

https://comtrade.un.org

7. Union européenne. (2023). Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) – Réglementation et guide technique. Bruxelles : Commission européenne.

https://climate.ec.europa.eu

8. Union africaine. (2023). Rapport sur l’état de mise en œuvre de la ZLECAf. Addis-Abeba : Commission de l’Union africaine.

9. République du Cameroun – MINREX. (2024). Stratégie nationale de diplomatie économique 2024-2026. Yaoundé : Ministère des Relations Extérieures.

10. République du Cameroun – INS. (2024). Annuaire statistique du commerce extérieur 2023. Yaoundé : Institut National de la Statistique.